Quel pays heureux et prospère nous avons! Nous pouvons nous disputer au plus haut niveau, nous osons des expériences sans savoir où elles pourraient nous mener et nous acceptons une initiative contre l’immigration de masse sans en connaître les conséquences. Mais le mandat de négociation de l’Union européenne annoncé le week-end dernier ne pourrait être plus clair. Bruxelles nous prend en tenaille: libre circulation ou isolation au cœur de l’Europe? Prospérité ou paralysie?

Oui, nous sommes le pays démocratique le plus riche au monde. Nous possédons une puissance économique capable d’encaisser les plus grandes secousses. Les crises économiques et financières de ces dernières années, nous les avons non seulement maîtrisées, nous en sommes sortis plus forts.

Un seul coup d’œil par delà les frontières suffit à nous faire prendre conscience à quel point la Suisse se porte bien. En Allemagne, une retraite de 1000 euros est déjà tout à fait correcte. En Italie, une jeune institutrice gagne 1500 euros par mois et peut s’estimer heureuse d’avoir du travail. En Espagne, plus de 50% des jeunes sont sans emploi. Bien sûr, le coût de la vie chez nous est plus élevé, mais même avec un pouvoir d’achat comparable, notre situation est bien meilleure.

L’AVS passerait plus difficilement en votation populaire qu’il y a 70 ans.

La politique partisane brouille la vision à long terme. Alain Berset défendant à Bienne son projet de réforme de l'AVS. (Photo: Marcel Bieri/Keystone)

Mais surtout, nous avons de loin le meilleur concept de prévoyance au monde, un concept très équilibré. L’AVS, décrite par le magazine économique allemand «Der Spiegel» comme un «acquis socialiste», passerait beaucoup plus difficilement en votation populaire qu’il y a 70 ans. Les contribuables à hauts revenus lui reprochent d’être un «impôt sur la fortune» car ils ne reçoivent jamais à hauteur de ce qu’ils contribuent. Même le deuxième pilier a une forte composante sociale, qui provoquerait aujourd’hui une énorme controverse: au décès précoce d’un retraité, son capital reste dans la caisse de pension sans aller à ses héritiers.

Dans de nombreux pays, en particulier en Europe de l’Est, les retraités attendent souvent pendant des mois leur maigre rente, alors qu’en Suisse, nous pouvons nous permettre de mener un combat féroce autour de la réforme «Prévoyance vieillesse 2020» lancée par le conseiller fédéral Alain Berset. Au lieu de tout mettre en œuvre pour consolider ce que nos prédécesseurs ont développé avec beaucoup de clairvoyance, les acteurs de la scène politique passent leur temps à se chamailler, alors que le besoin d’agir est urgent: la Berne politique doit faire preuve de l’autorité nécessaire pour réformer avec précaution la bonne et solide structure de la prévoyance vieillesse. Incluant les trois piliers, la réforme Berset est fondée sur une analyse minutieuse et très équilibrée. La mise en consultation a déjà montré qu’elle serait démantelée et déchiquetée de toutes parts. Le camp bourgeois veut la décomposer et la mettre en œuvre par étape, la réduire plutôt que de la soutenir, tandis que la gauche veut la surcharger et l’élargir socialement plutôt que de la consolider.

Ce qui manque toujours plus aux politiciens de notre Etat-providence, c’est la volonté d’œuvrer pour la meilleure solution. Si on trouve une solution – pour autant qu’on en trouve une – elle sera certes consensuelle mais médiocre, si elle n’est pas broyée et coulée par des alliances contre nature entre la droite et la gauche, particulièrement dans les domaines de la santé et du social. Les objectifs des partis politiques piétinent le bien commun plus souvent et plus impudemment que par le passé. Les luttes à grand spectacle devant la caméra de l’émission politique alémanique «Arena», encouragent les dissensions plutôt que de conduire à la recherche de solutions.

Le «principe des trois piliers» de notre prévoyance vieillesse est un chef-d’œuvre de nos prédécesseurs. Les piliers de l’AVS et de la prévoyance professionnelle sont profondément ancrés dans la société; il est important d’en prendre soin. Au lieu de cela, la politique est en train de tout bêtement gâcher ce chef-d’œuvre et de le repeindre aux couleurs des différents partis. Il serait pourtant préférable d’en rafraîchir les couleurs un peu blafardes, de donner des garanties à toutes les générations et d’assurer le financement.

Nous en avons la puissance économique, une analyse minutieuse est sur la table, et le programme de réforme est ficelé. Suite à la mise en consultation, le Conseil fédéral va encore procéder aux ajustements demandés. Mais le plus grand danger qui guette le projet vient des oppositions politiques au sein du Parlement lui-même. Qui protègera ce chef-d’œuvre d’une politique de blocage? En fin de compte, c’est n’est personne d’autre que nous-mêmes.