Une «verdammte Sauerei» (une belle saloperie) : voilà comment Ueli Maurer, conseiller fédéral, a qualifié les fuites d’information au sein de son département. Que s’était-il passé ? Apparemment, au DPPS, la résistance de certaines personnes est si forte qu’elles ont communiqué aux médias des informations confidentielles sur le Gripen, l’avion de chasse en cours d’achat par le ministère. Concrètement, ces informations dévoilent une facette bien peu reluisante de cet avion suédois. Pour Ueli Maurer, c’est une énorme contrariété, et cela menace par voie de conséquence de faire dérailler le projet d’achat du jet.

Son agacement est apparemment si important qu’il n’a trouvé que des jurons pour le qualifier, et pas des moindres. Nous ne sommes pas habitués à de telles saillies de la part des membres de notre gouvernement. Ainsi, Mark Balsiger, conseiller politique bernois, n’a pas tardé à demander sur Twitter : « les conseillers fédéraux peuvent-ils jurer devant un micro ? Si oui, où est la limite ? »

Entre les lignes, on distinguait souvent un «merde» chez Micheline Calmy-Rey, parce que Hans-Rudolf Merz avait fait capoter toute l’affaire

Il est évident que même les conseillers fédéraux ont le droit de jurer et de lâcher des gros mots. Seulement, personne ne l’a fait ces derniers temps, ce qui explique les réactions d’étonnement. Ils se maîtrisaient donc bien, alors même qu’ils n’auraient que trop souvent eu des raisons de perdre leur calme. «Putain», a dû se répéter intérieurement Hans-Rudolf Merz lorsque Mouammar Kadhafi l’a renvoyé chez lui les mains vides et les valises pleines. Et, entre les lignes, on distinguait souvent un «merde» chez Micheline Calmy-Rey, parce que Hans-Rudolf Merz avait fait capoter toute l’affaire.

À votre avis, qu’est-ce que Simonetta Sommaruga a pu penser de la fronde des habitants de Bettwil? Et les mâles dominants en opposition que sont Pascal Couchepin et Christoph Blocher? Quant à Eveline Widmer-Schlumpf, qui échoue depuis des années à trouver une solution au conflit fiscal avec les États-Unis, que doit-elle penser des cow-boys d’outre-Atlantique ? Nous l’ignorons. (Bien sûr, en matière de relations internationales, la diplomatie demande de la correction.)

Il y a parfois de petits dérapages, à l’instar de Doris Leuthard, fraîchement ministre de l’infrastructure, à l’occasion du conflit avec l’Allemagne sur le bruit aérien. Elle a qualifié de «talibans» les opposants allemands, pour ensuite se confondre en excuses.

De l’autre côté du spectre se trouvent les anti-jurons, ceux qui sont maîtres d’eux-mêmes, un groupe mené par Johann Schneider-Ammann, ministre de l’Économie. Lorsqu’il s’exprime en public, il s’agit avant tout de ne pas proférer la moindre critique sur qui que ce soit. Nous sommes tous compatissants lorsqu’il aimerait dire quelque chose et n’ose pas le faire (d’accord, il a fait des progrès dernièrement).

Une seule personne, dans l’histoire récente du Conseil fédéral, s’est montrée sous son vrai jour, même si ce n’était pas délibéré de sa part. «Quelle merde», « elle dit vraiment des conneries », a dit Moritz Leuenberger, à l’époque conseiller fédéral, en préambule à une interview avec TV3. Même si cela a été tout à fait douloureux pour lui, tout le pays s’est moqué de ce dérapage – merci YouTube. La morale de l’histoire est surtout la suivante : même les conseillers fédéraux sont des êtres humains. Et ils font tout leur possible pour garder leur sang-froid. Ueli Maurer vient d’en redonner un exemple. Comme quoi : merde alors, Maurer!